Lettre ouverte d'un citoyen
Parfois l’intuition vient te dire : “C’est le moment”.
Ça fait si longtemps que ces questions te turlupinent et tu voudrais tellement convaincre.
Mais voilà, tu ne sais comment faire. Et d’ailleurs, depuis tout ce temps, serais-tu encore capable de quoi que ce soit ? Capable de trouver les mots et puis, surtout, savoir à qui les adresser, pour qu’ils servent à quelque chose.
Pourtant, cette prise de parole semble tellement indispensable que tu t’étonnes de ne pas voir ton entourage aborder le sujet. Du coup, tu doutes de la pertinence de tes prémonitions et de l’urgence d’en faire état.
Tout cela est à la fois si urgent et si loin de la préoccupation commune…
Les gens vivent confinés depuis quelques semaines. La pandémie frappe partout. À la télé, les responsables disent que cela va mieux, qu’il faut maintenir le cap. Tu es d’accord. Tu te dis qu’après tout nous sommes en train de réapprendre ce que nous étions sur le point d’oublier : l’essentiel, vivre, aimer les gens, se nourrir, avoir un toit, se réjouir du temps qu’il fait, de la nature qui s’exprime, de ce calme revenu qui nourrit l’âme autant qu’il répare le corps.
Bientôt, nous dit-on, si nous sommes des citoyens “raisonnables”, tout redeviendra comme avant et surtout, surtout, l’économie repartira.
C’est à ne pas croire ! Vraiment ? L’économie, toute l’économie ? L’utile comme la futile ? La bénéfique comme la désastreuse ? Toute l’économie repartira ?
Maintenant que nous avons entrevu à quoi la mort planétaire pourrait bien ressembler, est-il vrai que nous n’aspirons qu’à une chose : surtout, surtout, relancer la grande frénésie mondiale ?
Tu te dis : “Est-il possible ? Nos décideurs, si volontaires, si sincèrement préoccupés du bien commun, peuvent-ils ne pas entrevoir que la crise du COVID-19 pourrait bien être l’ultime métaphore capable de nous inviter à prendre garde ?”
La crise si meurtrière que nous traversons, qui tue partout autour de nous, cette catastrophe planétaire n’est en fait que la préfiguration de ce qui ne manquera pas d’advenir si, comme avant le COVID-19, nous nous révélions incapables d’anticiper la suite de notre histoire.
Tu t’interroges : serais-tu le seul à entendre l’avertissement : la crise du COVID-19 n’est qu’une sorte d’avant-goût de l’énorme hécatombe que provoquera le fléau des dérèglements climatiques si nous ne tentons pas de les limiter ? Notre incrédulité face à la gravité de ce qui arrive aujourd’hui nous empêcherait-elle de voir le danger infiniment plus grand qui menace demain ? Qui, pour le coup, pourrait bien être irrémédiable…
Durant ces jours de confinement, nous avons appris à nous satisfaire de ce que nous avons. Comme Sylvain Tesson l’écrit : “Heureux qui se nourrit de ce qu’il voit par la fenêtre.” Cette philosophie de base vaut autant pour la satisfaction de l’estomac que pour le réconfort de l’esprit. Nous réapprenons à nous approvisionner chez les producteurs locaux, à redécouvrir ces endroits et ces gens qui sont notre “chez nous” et qui nous réconcilie avec nous-mêmes…
Pourquoi faudrait-il aller chercher ailleurs le bonheur qui déjà frappe à notre porte ? Pourquoi devrions-nous, maintenant que nous avons fait les premiers pas, abandonner notre marche vertueuse vers un bonheur plus partagé ? Faut-il vraiment remettre la machine dans cette vieille ornière où nous étions sur le point de nous embourber définitivement ?”
Les jours que nous vivons nous apprennent que le bon sens peut primer sur le calcul. Nous avons tous été heureux et rassurés de voir que l’avis des scientifiques pouvait prévaloir sur les considérations économiques. Surtout, surtout, continuons d’avancer dans cette voie.
L’adhésion générale montre que nous sommes capables de changer nos habitudes dès lors qu’il s’agit du bien commun. Surtout, surtout, chers décideurs, ne venez pas nous dire que vos recommandations n’étaient que provisoires. Ne venez pas nous convaincre que parce que les pertes deviennent supportables, nous serions autorisés à repartir du mauvais pied !
Chers gouvernants, vous vous êtes montrés déterminés, intransigeants. Comme vous avez bien fait ! Comme ce fut réconfortant de voir tous les citoyens vous suivre et accepter de s’adapter !
Ce qui est possible aujourd’hui, le sera encore demain. Ne nous renvoyez pas dans le monde d’avant, il n’était qu’illusion, qu’agitation, il était sans issue. Gardons le cap ! Les faits viennent de démontrer que l’économie n’était pas une science exacte et que ses règles n’étaient pas aussi incontournables qu’on avait voulu le faire croire. Poursuivons nos efforts ! La porte de sortie du confinement deviendra bientôt la porte triomphale d’entrée dans le monde d’après !
Bien sûr qu’il se fait temps, que pour recommencer à vivre chacun doit pouvoir remobiliser sa force de travail, sa réflexion, son savoir-faire, sa créativité. Bien sûr qu’il est temps que chacun récolte à nouveau les fruits de ses efforts, mais surtout, surtout, prenons soin de ne pas travailler contre nous-mêmes.
Écoutons les scientifiques ! Ceux qui se penchent sur la santé de notre planète ne sont pas moins légitimes que ceux qui se penchent sur l’état de nos poumons ! Ils sont vigilants, opiniâtres et courageux… comme les autres ! Maintenant que nous venons d’expérimenter qu’une attitude vertueuse n’est pas synonyme de misère et de désespoir appliquons-nous à remettre en route ce qui mérite d’être remis en route. Maintenant que nous avons vu le mal de près, abandonnons ce qui nous conduirait à une nouvelle crise, cette fois totalement incontrôlable.
Chers responsables, chers gouvernants, continuez courageusement à expliquer comment nous pouvons revenir à une belle et bonne vie. Continuez à promulguer les nouvelles règles de civisme, à encourager les bonnes initiatives en interdisant celles qui nuisent. Continuez à désigner les activités dangereuses, prédatrices, insoucieuses de l’avenir du vivant et à les interdire. Ne tremblez pas quand il s’agit de sanctionner les contrevenants.
Faites cela “coûte que coûte”, comme vous avez résolu de le faire depuis quelques semaines.
Nous, de notre côté, nous vous suivrons. Mieux, nous vous aiderons ! La grande majorité d’entre nous est disposée à accepter cette nouvelle existence. Nous avons tant d’idées à concrétiser, tant d’activité à relocaliser, tant de nouvelles professions à inventer, à réapprendre, tant de gestes et d’activités à remettre sur le métier, et tout l’art, toute la création, toute la beauté du monde à mettre en scène…
Puisque le malheur qui a fait perdre tant d’emplois nous donne l’opportunité, au moment de la reprise, de nous reposer la question de leur utilité, de choisir de réactiver les emplois les plus utiles et de contester le maintien des plus futiles et des plus inutiles qui épuisent la planète et assujettissent les humains.
Vous verrez : il y en aura pour tout le monde et rien ne manquera…
C’est maintenant ou jamais, la porte s’est ouverte.
Parfois, l’intuition te dit : “C’est le moment !”
Au regard de l’énormité du projet, les mots te semblent minuscules et tu ne sais même pas où, ni à qui, ni comment les faire entendre…
Alors, tu les disperses autour de toi comme autant de bouteilles à la mer…
Daniel Barbez