En « préparation » à notre événement « Entrez, c’est ouvert » ayant comme thème le revenu de base, nous vous proposons cette note rédigée par Philippe Defeyt.

Avertissement : Au vu de l’intérêt croissant et nouveau à certains égards, lié à la crise que nous vivons, pour l’idée d’un revenu de base, vous trouverez ci-après, en quelques pages, l’essentiel de ma proposition. Celle-ci datant de 2016, il est évident que les montants cités doivent être indexés. Mais cela ne change rien à la philosophie générale du dispositif qui ambitionne de simplifier la (re)distribution des revenus, de la rendre plus juste, de soutenir l’autonomie, de libérer les choix de vie privée et professionnelle.

Notre système de (re)distribution des revenus ne parvient pas à répondre suffisamment et/ou adéquatement à huit défis, vécus difficilement tous les jours par beaucoup de nos concitoyens.

  • Les difficultés nées dans les périodes de transition (pour les jeunes, quand ils entrent dans la vie active ; pour les personnes qui souhaitent changer d’orientation professionnelle ; pour ceux qui souhaitent alterner activités professionnelles et formations avec des intensités variables ; pour ceux qui souhaitent ralentir le rythme dans les années qui précèdent la retraite ; pour celles (le plus souvent se sont des femmes qui sont concernées) qui sont empêchées de changer de vie à cause des contraintes économiques ; …).
  • Les très nombreux pièges financiers, à savoir ces situations où (re)trouver un emploi n’améliore pas (et parfois détériore) le budget du ménage.
  • La pesante complexité des règles régissant la (re)distribution des revenus, qui pénalise en particulier les moins armés.
  • Les contrôles sur la vie privée de nombreux allocataires sociaux.
  • L’absence de réponse forte en matière de lutte contre la pauvreté.
  • Un soutien insuffisant aux porteurs de projets, de quelque nature (scientifiques, marchands, associatifs, culturels, militants…).
  • L’envie de nombreux travailleurs d’aménager et/ou de réduire leur temps de travail.
  • Les difficultés et incompréhensions en matière de (re)distribution des revenus nées de la coexistence dans les ménages mais aussi dans le parcours de chaque personne de plusieurs statuts.

Imaginez quelques instants que l’on puisse reconstruire une protection sociale à partir d’une feuille blanche avec l’objectif de relever ces défis de manière efficace, efficiente et juste. Cette posture intellectuelle ne signifie en rien que notre système social est en tout mauvais ou dépassé. Il s’agit tout simplement de faire cet exercice pour voir ce qui doit être consolidé et ce qui peut évoluer.
Voici comment je propose de remplir cette page blanche pour écrire un autre avenir.

UN REVENU SOCLE ET INCONDITIONNEL DE 600 €/mois
Point de départ d’un nouveau modèle de protection sociale : chacun reçoit un revenu socle de 600 €/mois.
D’emblée il importe d’apporter cinq précisions :
1. Il s’agit d’un revenu socle ce qui veut dire que les autres revenus s’y ajoutent.
2. Pour les moins de 18 ans il est proposé un montant de 300 €/mois.
3. En faisant cette proposition je ne considère évidemment pas que 600 €/mois suffisent pour vivre. Mais ce n’est pas l’objectif premier. Ceci dit on fera remarquer qu’il y a des centaines de milliers de personnes qui n’atteignent pas ce montant aujourd’hui. Par exemple : les cohabitants en matière de RIS (Revenu d’intégration sociale), de très nombreux chômeurs (surtout des chômeuses en fait), les jeunes qui n’ont même pas droit à une allocation d’insertion, des pensionné(e)s, les travailleurs ayant interrompu leur carrière avec indemnité de l’ONEM (quand indemnité il y a), etc. Le revenu implicitement accordé au conjoint sans revenu via le quotient conjugal ou le taux ménage existant dans diverses législations est lui aussi inférieur à 600 €/mois.
4. Ce revenu de base serait réservé à ceux qui ont la citoyenneté fiscale (excluant donc, par exemple, les fonctionnaires européens domiciliés en Belgique). Attention : citoyenneté fiscale ne veut pas dire que l’on doit payer des impôts pour obtenir le revenu de base mais simplement qu’il faut être affilié (= partie prenante) au système de redistribution des revenus qui a cours en Belgique et donc participer à son financement dès que les ressources sont suffisantes. Comme aujourd’hui, les personnes réfugiées en demande d’un titre de séjour accéderaient à cette citoyenneté fiscale une fois reconnues tandis que les migrants économiques venant de pays européens pourraient l’obtenir s’ils paient cotisations et impôts « normaux » en Belgique.
5. Pourquoi 600 €/mois ? On répondra à cette question plus loin.

Ce revenu socle est doublement inconditionnel
1. Il reste acquis quels que soient les autres revenus.
2. Il ne varie pas en fonction des caractéristiques (statut social, liens familiaux, revenus…) des (éventuelles) autres personnes qui vivent dans le ménage.

PRESTATIONS SOCIALES : CONSOLIDATION D’UNE LOGIQUE ASSURANCIELLE
Parallèlement, on établit des assurances contre les risques de la vie :

  • assurance-chômage
  • assurance-maladie (soins de santé et indemnités)
  • assurance-retraite.

Importante précision : on ne touche pas aux soins de santé ni aux allocations pour personnes handicapées ; on maintient donc les systèmes actuels, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas être améliorés.
Comment fonctionnent ces assurances ? Comme aujourd’hui, à savoir un pourcentage du revenu perdu, avec planchers et plafonds si souhaité pour des raisons de redistribution verticale des revenus. Mais

  • comme chacun dispose d’un revenu socle les pourcentages sont, toutes choses égales, moins élevés
  • il n’y a plus de taux ménage, de taux isolé ou de taux cohabitant, mais une seule véritable assurance sociale, strictement « individuelle ».

C’est la même logique qui présiderait au calcul des autres revenus de remplacement (indemnités INAMI et pensions).
Et pour les personnes qui n’ont jamais travaillé ou pas travaillé assez ? La proposition est d’introduire une allocation d’insertion de 300 €/mois (avec les obligations d’un demandeur d’emploi indemnisé).
Enfin, pour être sûr que toute personne en difficultés reçoive au moins autant qu’aujourd’hui, je propose également une allocation loyer pour les personnes seules et les familles monoparentales, fluctuant entre 0 et 300 €/mois et accordée en fonction des revenus totaux du ménage ; ce serait la seule aide sociale accordée sous condition de ressources (comme l’est le loyer dans le logement social).
Il ne faut rien d’autre pour que le système fonctionne – mieux – qu’aujourd’hui !
Importante précision : la mise en place de ce revenu de base doit s’accompagner de la consolidation de trois régulations du marché du travail : 1° le salaire minimum, 2° un temps de travail de un tiers temps minimum et 3° la lutte contre les faux indépendants. Un stand-still doit être imposé aux conventions collectives existantes (pas de recul possible donc). Si ce n’était le cas, un revenu de base pourrait en effet devenir le cheval de Troie d’une dérégulation sauvage du marché du travail.

DES EXEMPLES CONCRETS
NB : Les montants ci-après doivent être indexés. Mais j’ai préféré garder les montants arrondis pour la facilité.
1. Un jeune (ou moins jeune) demandeur d’emploi sans droit à une allocation de chômage = 600 € + 300 € d’allocation d’insertion = 900 €/mois. Ce montant ne change pas si, par exemple, le jeune se met en ménage. S’il vit seul il est en droit d’obtenir une allocation loyer de 250 €/mois pour arriver au seuil de pauvreté (estimé à 1.150 €/mois en 2017).
Un indépendant failli qui n’aurait plus droit à des allocations de chômage pourrait activer, lui aussi, cette allocation d’insertion (en plus, bien sûr, du revenu de base).
2. Le revenu de base de 600 € permettrait à un indépendant qui se lance (avec des revenus faibles) et/ou qui connaît une mauvaise passe en terme de chiffre d’affaires de ne pas devoir jeter l’éponge. Par exemple, un jeune maraîcher, retirant 500 €/mois de ces activités comme indépendant, pourra demain les ajouter à son revenu de base pour obtenir au total 1.100 €/mois.
3. Une personne ne souhaitant pas travailler ou interrompant complètement sa carrière (par exemple pour se réorienter sur le plan professionnel)= 600 €/mois (sans aucune formalité administrative).
4. Un travailleur ayant perdu son emploi lui rapportant 2.000 € bruts par mois = 600 € + une allocation de chômage représentant 40% du salaire perdu = 800 €/mois. Total = 1.400 €/mois.
5. Un travailleur partant à la pension = 600 € + une pension (publique, dépendant strictement de sa carrière) calculée en pourcentage des revenus actualisés pendant sa vie professionnelle, par exemple 700 € (=45% du salaire perdu). Au total donc 1.300 €/mois.
6. Une jeune femme isolée mère d’un enfant = 600 € + salaire net de (par exemple) 800 € + 300 €. Total = 1.700 €/mois. Si cette personne n’a aucun revenu et qu’elle se déclare demandeuse d’emploi inoccupée sans avoir travaillé assez pour bénéficier d’une allocation de chômage, elle bénéficiera bien sûr du revenu de base, d’une allocation d’insertion et d’une allocation de loyer de, disons, 300 €/mois. Son revenu se calcule ainsi : 600 € + 300 € (allocation d’insertion) + 300 € (allocation loyer) + 300 € (revenu de base de l’enfant) =1.450 €/mois contre 1.295,5 €/mois dans l’actuel système à la date de juin 2016.
Pour les personnes aujourd’hui en difficultés, les paramètres du nouveau système sont calibrés pour assurer aux isolés plus qu’aujourd’hui (et atteindre au moins le seuil de pauvreté si la personne en état de travailler se déclare demandeuse d’emploi ou si elle est en incapacité de travailler). Les actuels cohabitants sont toujours gagnants et n’ont donc plus aucun intérêt à se domicilier fictivement pour obtenir plus. Un actuel chef de ménage aura moins à titre individuel mais le ménage dans lequel il vit aura plus.

QUELS SONT LES AVANTAGES DE CE NOUVEAU PARADIGME SOCIAL ?
Ce nouveau paradigme de la protection sociale permet d’atteindre huit objectifs :

  • Simplifier la redistribution des revenus
  • Individualiser les droits sociaux et fiscaux
  • Supprimer les pièges à l’emploi
  • Lutter plus efficacement contre la pauvreté
  • Libérer les énergies et initiatives
  • Faciliter la réduction du temps de travail et préparer une société avec moins de travail
  • Faciliter les transitions, professionnelles et/ou dans les ménages
  • Rapprocher les statuts.

1. Une très grande simplification
Dans le modèle développé ci-dessus :

  • un régime d’assistance n’est plus nécessaire ; les CPAS peuvent rester mais pour d’autres pans de leur action, pas pour assurer un revenu de base
  • il n’est plus nécessaire de prévoir des allocations familiales majorées puisqu’on fusionne implicitement allocations familiales, taux majorés et réductions fiscales pour enfants à charge ; toutes les difficultés administratives que le présent système entraîne sont donc éliminées
  • plus besoin du crédit-temps et systèmes assimilés ; les 600 €/mois restent acquis quels que soient les choix de temps de travail
  • il n’est plus nécessaire de déterminer si un temps partiel est (in)volontaire (ce qui est de toute manière une chose peu aisée voire indicible) et donc plus de nécessité d’un système d’allocation de garantie de revenu (AGR)
  • il n’est plus nécessaire de prévoir des réductions fiscales pour personnes à charge, l’exonération d’une première tranche de revenus ou des allocations au « taux ménage » puisque chaque personne a un revenu de base de 600 €/mois
  • les montants auxquels on a droit sont disponibles immédiatement
  • les statuts se rapprochent, simplifiant la situation des personnes et ménages à cheval sur plusieurs statuts.

Tout ceci assure une plus grande clarté du système social et donc moins de surprises désagréables quand change la situation d’une personne, volontairement ou involontairement.

2. Une individualisation des droits sociaux et fiscaux
Les conséquences sont ici plus que bénéfiques :

  • les solidarités chaudes (ex : des parents qui aident un enfant en difficulté, un ménage qui accueille une personne en difficulté, deux personnes qui co-louent un logement…) peuvent jouer à plein
  • plus de contrôles intrusifs sur la vie privée
  • plus besoin de déterminer si une personne est « vraiment » isolée
  • toutes les formes de logement et d’habitat peuvent s’épanouir et plus aucun intérêt à des domiciliations fictives, ce qui contribue à un assainissement du marché locatif.
    Illustration : de nombreuses personnes qui ne sont pas des étudiant(e)s sollicitent l’ASBL Un toit, deux âges pour habiter avec une personne âgée. Risquée aujourd’hui, cette forme de cohabitation pourrait sans souci se pratiquer dans le cadre d’un revenu de base tel que développé ici, au bénéfice de la personne âgée et de la personne qui viendrait habiter avec elle.

3. Plus de pièges à l’emploi ou financiers
Dans toutes les configurations une personne gagne (significativement) plus si elle (re)trouve un travail ou augmente son temps de travail. Qui plus est, les pertes de revenus liées à la perte d’allocations familiales majorées et/ou à la perte/diminution d’allocations sociales d’autre(s) éventuel(s) membre(s) du ménage ne peuvent plus se produire.

4. Les pauvres s’en sortent mieux
En libérant les solidarités courtes, en supprimant tout piège à l’emploi, en donnant immédiatement dans le revenu de base des enfants des avantages fiscaux aujourd’hui délayés dans le temps, les pauvres s’en sortent mieux, surtout si on complète le dispositif ici proposé par un emploi garanti au bout de X mois (voir ci-après).

5. Libérer les énergies et initiatives
Toute personne peut « activer » ce revenu socle pour réduire son temps de travail et mener à bien des activités qu’elle porte en elle, quelles qu’elles soient : activités artistiques, bénévoles, associatives, militantes, de recherche, préparation d’une activité économique… Un revenu de base ainsi conçu pour donc aussi servir à faciliter des démarches de transition écologique.
Toute personne peut aussi « activer » ce revenu de base pour mener à bien des activités économiques d’un grand intérêt pour elle mais dont le revenu mensuel procuré est insuffisant à lui tout seul (ex : activités artistiques professionnelles, jeunes passionnés de maraîchage…).
Nous sommes ici au cœur de ma vision d’un revenu de base. Des individus heureux partagent leur temps entre trois types d’activités, dans des proportions qui peuvent évidemment varier d’une personne à l’autre et dans le temps :

  • La production de richesses (travail = emploi) ; il est souhaitable que tous puissent garder ou (re)trouver un lien avec l’emploi
  • Les activités de « care » (travail = soins aux proches)
  • Les activités pour soi et pour/avec les autres (travail = autonomie). ; ce sont ces activités qui seront « financées » par un revenu de base.

C’est en fonction de cette vision philosophique d’une vie heureuse que je ne porte pas le projet d’une allocation universelle suffisamment élevée pour affranchir la vie durant un individu qui le souhaiterait de toute participation à la sphère productive des richesses économiques. Le travail qui passe par l’emploi est source de liens sociaux et d’autres externalités personnelles et sociétales.

6. Réduire le temps de travail et préparer une société avec moins de travail (sous la forme d’emplois)
Le revenu de base ici proposé peut soutenir une réduction du temps de travail, sur une base collective (le revenu de base couvrirait pour beaucoup la réduction du salaire net) et/ou individuelle (le coût de travailler moins est proportionnellement réduit).
Comme d’autres, je pense que, tôt ou tard, mais plutôt bientôt, les destructions d’emplois l’emporteront sur les créations. Et c’est probablement très bien ainsi (en particulier quand il s’agit d’emplois proposant de mauvaises conditions de travail), pour autant que la société gère équitablement les conséquences de cette évolution. Dans un tel contexte, il y a nécessité de revoir la (re)distribution des revenus. Un revenu de base est donc le bienvenu. C’est à cause de cette évolution que les 600 €/mois sont un point de départ d’une histoire à écrire. Ce montant est donc appelé à augmenter.

7. Faciliter les transitions
Les jeunes qui n’ont aucun revenu pour se lancer à la sortie des études, les jeunes qui font de la formation en alternance, un travailleur qui a envie d’investir pendant quelques mois dans une formation ou s’engager – volontairement – dans une autre voie professionnelle, la femme coincée dans son couple pour raisons économiques, etc., etc., toutes ces personnes verront leur transition facilitée par le revenu de base.

8. Rapprocher les statuts
La mise en route de la démarche SMART et des couveuses d’activités a déjà permis de faire de grands pas vers le rapprochement des statuts et des droits. Le dispositif global proposé ici devrait permettre de parachever cette nécessaire évolution.

DES MESURES COMPLÉMENTAIRES

  • On peut bien sûr profiter de ce changement de paradigme pour, par exemple, harmoniser certains seuils, planchers et plafonds ou apporter d’autres améliorations au système de (re)distribution des revenus (« fine-tuning »).
  • De même, la suppression (pour cause de « double emploi ») de l’exonération fiscale de la première tranche de revenus (quotité exonérée) serait aussi l’occasion d’adapter les barèmes fiscaux, dans le sens d’une meilleure progressivité.
  • Pour lutter mieux encore contre la pauvreté on peut coupler l’octroi d’une allocation d’insertion à la garantie de se voir offrir un emploi dans une période de X (à déterminer) mois, sur base du modèle de l’Article 60 (dispositif de remise à l’emploi activé par les CPAS). Cette approche est connue dans la littérature sous le nom de workfare. Il serait pertinent de réorienter les aides au logement (y compris les réductions fiscales) vers des compensations en faveur de certains ménages pour tenir compte de la différence des loyers d’une sous-région à l’autre, permettant ici de surmonter la difficulté née d’un revenu de base identique sur tout le territoire alors que le coût de la vie varie dans l’espace.
  • Introduire une allocation loyer comme proposé supra implique – en tout cas pour les petits logements – une régulation des loyers.
  • L’octroi, à chaque citoyen, d’un compte notionnel, virtuel, par lequel transiteraient tous les revenus (avant d’être réorientés vers les comptes bancaires actifs), faciliterait grandement la mise en œuvre opérationnelle du revenu de base.

ON EFFACE TOUT ?
Ainsi présenté, un revenu de base réinvente l’Etat-Providence. Il devient

  • un Etat-Providence 3.0, en considérant que le modèle 1.0 c’est l’Etat-Providence de la sortie de la guerre et que la version 2.0 est celle progressivement introduite à partir des années 80, à savoir un détricotage des principes d’origine et des protections offertes
  • un Etat-Providence avec une autonomie augmentée
  • un Etat-Providence libérant les énergies et la créativité.

Au-delà de ces formules un peu faciles, ces trois affirmations disent trois choses essentielles :

  • On n’efface pas 70 ans de sécurité sociale, au contraire on consolide son caractère  assuranciel et sa contribution à la solidarité.
  • Plaider pour un tel revenu de base ce n’est pas refuser un État présent et proactif qui fixe les règles (c’est important en matière de droit du travail et des salaires en particulier) et, surtout, crée les conditions du bonheur pour ses citoyens.
  • Mais plaider pour un tel revenu de base c’est aussi proposer un soutien généralisé, non clientéliste, à la créativité et à l’action citoyennes, ce qui est plus difficile à mettre en place dans le cadre classique de l’action politique ; la véritable innovation entre rarement dans les « cases » des législations et aides publiques existantes.

Enfin, je propose que le revenu de base devienne le 6ème pilier de notre sécurité sociale.

DE NOMBREUSES QUESTIONS
Un tel dispositif suscite bien sûr des interrogations. Voici celles qui, d’expérience, reviennent le plus souvent.

  • Pourquoi faire compliqué quand on peut faire « simple » ?
    Il est effectivement possible d’activer d’autres réformes (hausse des minima sociaux, individualisation des prestations sociales, réduction du temps de travail, amélioration du système du crédit-temps…) mais le dispositif développé ici permet d’atteindre plusieurs objectifs à la fois, à moindre coût, élargit l’individualisation des droits à tous les citoyens, sans nécessité de périodes de transition (notamment pour « protéger » les ménages où aujourd’hui il y a une allocation sociale au taux ménage) et améliore grandement la simplicité et donc la lisibilité des règles de la protection sociale. D’une manière générale ces autres formules coûtent, additionnées, plus cher au final et laissent inchangées de nombreuses situations problématiques.

    Trois illustrations :
    ➢ sans autres changements, une hausse des minima sociaux augmente le nombre de personnes – travailleurs et/ou allocataires sociaux – en droit d’aller chercher un complément de revenu dans leur CPAS (et donc augmente le nombre de ménages dont on contrôlera la composition et les revenus de chacun de ses membres et rend encore plus intéressante une domiciliation fictive) ; cela augmente aussi le  nombre de personnes en situation de piège financier (c’est-à-dire toute situation où l’augmentation de l’offre de travail n’améliore pas, voire réduit, le niveau de vie de la personne concernée ou du ménage dans laquelle elle est vit) ; la réponse qui vient le plus souvent est de proposer une revalorisation (de l’ordre de 20%) du salaire minimum ; cette option implique une facture supplémentaire (qui va payer?) et revient implicitement à préférer un temps plein payé au salaire minimum (revalorisé) à un système garantissant le même revenu net sans devoir travailler à temps plein !
    Comprenne qui pourra.
    ➢ une plus grande « générosité » d’un système de crédit-temps n’y donnera toujours pas accès aux autres statuts que celui de salarié
    ➢ la seule individualisation des prestations de sécurité sociale – qui est, implicitement ou explicitement, la voie choisie par de nombreuses organisations – bute sur deux limites : 1° il est socialement impossible pour un terme plus ou moins long de supprimer un taux « chef de ménage » (dans un modèle de revenu de base c’est possible puisque l’autre membre du ménage a, au minimum, 600 €/mois) et 2° les personnes dépendantes d’un régime d’assistance sont toujours contrôlées (dans un modèle de revenu de base tel que proposé ici il n’y a plus personne en régime d’assistance : tout le monde a rejoint la sécurité sociale).

  • Un revenu totalement inconditionnel ou un revenu de participation ?
    D’aucuns ont du mal à adhérer à l’idée d’un revenu, même de base, totalement inconditionnel. Certains proposent, par exemple, d’en lier l’octroi à l’accomplissement d’un service civil. Pourquoi pas ? Mais mesurons bien les difficultés concrètes : quand dans la vie interviendrait un tel service ?, revenu de base ou pas en attendant ?, âge maximum pour l’accomplir ?, modalités d’accomplissement ?, etc. D’autres évoquent l’idée d’un revenu de base lié à l’accomplissement d’activités jugées « utiles », dites de participation. Ce n’est pas une bonne idée. Remplacer des contrôles administratifs par des contrôles sur le contenu des activités menées par les uns et les autres en dehors de la sphère de l’emploi est impossible et de toute manière non souhaitable.
    Nul ne peut juger a priori de l’intérêt et des retombées, immédiates ou plus tard, de telle ou telle activité, de telle ou telle démarche. Faisons confiance aux citoyens.

 

  • Et la réduction des inégalités ?
    Les effets combinés de l’octroi d’un revenu de base à tous et de diverses mesures fiscales prises pour compléter le financement (voir l’épure budgétaire proposée ci-après) du dispositif proposé ici réduisent les écarts entre les hauts et les bas revenus et entre les hautes et les basses pensions, ces dernières étant supérieures à ce qu’elles sont aujourd’hui.
  • Est-ce le retour des femmes à la maison ?
    Il n’est pas impossible que l’octroi d’un revenu de base inconditionnel supérieur à ce que beaucoup de femmes touchent aujourd’hui de manière conditionnelle puisse les inciter (certaines d’entre elles en tout cas) à « rester à la maison ». Mais 1° cela peut être un choix pas nécessairement ou seulement lié à l’éducation des enfants ; 2° on peut espérer qu’avec le temps, la modification des rapports financiers dans les couples concernés et la poursuite d’un intense travail socioculturel et législatif fasse évoluer plus encore les comportements.
  • Est-ce une proposition de droite ou de gauche ?
    L’octroi d’une allocation de l’ordre de 1.000 €/mois pour solde de tout compte (à savoir : « pour le reste débrouillez vous ») est aujourd’hui plutôt une mesure de droite et, de manière a priori paradoxale, un montant moindre, mais inscrit dans un dispositif global incluant des prestations sociales de nature assurancielle, plutôt de gauche. Ceci précisé, j’estime que le modèle de revenu de base proposé ici peut constituer le cœur d’un nouveau pacte social et politique, dans l’esprit de celui qui est né de la guerre.
  • Finance-t-on la paresse ?
    Pas avec un revenu de base du montant proposé ici. Et puis, quand bien même, un peu de paresse ferait du bien à beaucoup.
  • Est-ce possible même si le reste du monde ne suit pas ?
    La Belgique peut montrer la voie d’une véritable modernisation de sa protection sociale. Mais, oui, il faut être clair, un tel revenu ne serait pas, du jour ou lendemain, un revenu vraiment « universel ». Et donc pas ni immédiatement ni automatiquement disponible à toute personne de l’Union arrivant sur le territoire belge. Pour être clair : ce revenu sera accordé à tous les travailleurs et allocataires – quelle que soit leur nationalité – affiliés à la protection sociale belge (sécurité et assistance sociales) et à leurs enfants, de même, comme aujourd’hui, aux réfugiés reconnus, mais pas aux travailleurs frontaliers ni aux fonctionnaires auprès d’institutions nationales s’ils ne paient pas d’impôts et de cotisations en Belgique ; les citoyens venant de l’Union européenne devront, comme aujourd’hui avec d’autres allocations, patienter un certain temps avant de bénéficier de ce revenu de base.
  • Quel rôle pour les syndicats ?
    Le modèle de revenu de base proposé ici ne tient que si les règles d’aménagement et de réduction du temps de travail applicables dans chaque entreprise, association ou administration font du droit à l’autonomie un droit réel et pas qu’un droit formel. Il n’y a pas d’exercice possible du droit à des activités autonomes avec des horaires coupés, des horaires annoncés la veille, un refus de l’employeur à une demande de réduction du temps de travail… Le combat pour de bonnes conditions de travail – en ce y compris le volet des dispositions relatives au temps de travail et aux horaires – est donc plus que jamais nécessaire. Par ailleurs les interlocuteurs sociaux continueraient à participer à la gestion des assurances sociales puisque l’on continuera à prélever des cotisations sur les salaires.
  • L’État ne va-t-il pas tout décider ?
    La crainte revient souvent : un revenu de base, une fois introduit, pourrait à tout moment être diminué/supprimé par un gouvernement qui n’aimerait pas un tel dispositif. La crainte me paraît infondée. Une fois le système testé « en vrai », je vois mal qu’un gouvernement même réactionnaire, puisse revenir en arrière. On peut aussi inscrire ce droit dans la Constitution.
  • Un revenu de base serait-t-il un remède miracle ?
    Non, bien sûr, un revenu de base ne va pas comme par magie supprimer les inégalités socioculturelles, résoudre les difficultés des personnes gérant mal leur argent, donner à chacun et chacune sa place dans la société…, mais il peut créer des conditions plus favorables pour s’attaquer à ces problèmes et difficultés. Par exemple, si demain les travailleurs sociaux des CPAS peuvent consacrer à des activités d’accompagnement et de soutien (dans les familles, dans les écoles…) plutôt qu’à des activités de contrôle, on peut espérer des retombées très positives sur l’émancipation des personnes en difficultés.
  • Est-ce pour bientôt ?
    Les contradictions, iniquités et impasses du système actuel sont telles qu’une protection sociale articulée autour d’un revenu de base et d’assurances sociales finira par s’imposer. Le changement est en marche. Il pourrait arriver plus vite que prévu.
  • Et si on y croît pas ?
    Je m’étonne toujours d’entendre des partisans d’allocations familiales « droit de l’enfant » ou d’une pension de base d’un même montant pour tous émettre des doutes sur l’intérêt d’un revenu de base. Mais soit, si on ne voit pas l’utilité d’un revenu de base tel que proposé ici, il peut au moins servir de référence pour une réforme des allocations familiales et/ou des pensions, voire pour d’autres dispositifs (par exemple l’octroi gratuit à chacun d’une première tranche de consommation électrique, outil pertinent pour introduire une certaine progressivité des tarifs électriques). Les organisations et personnes qui pensent qu’on pourrait commencer par une pension de base semblent assez nombreuses. En tout état de cause réfléchir sur les mécanismes d’un revenu de base amène à réfléchir sur les limites et dysfonctionnements des dispositifs actuels de la (re)distribution des revenus.
  • Pourquoi 600 €/mois ?
    Au départ de ma réflexion ce montant a été choisi en référence au montant du revenu d’intégration au taux cohabitant. Il s’agissait d’avoir un montant fixé au départ pour, par itérations, élaborer le reste du système.
    A l’arrivée : ce montant permet un bon équilibre entre le coût, l’efficacité et l’efficience d’un revenu de base tel que conçu ici. Il garantit – avec les autres paramètres proposés – que personne ne perdrait financièrement dans ce nouveau système (hormis ceux qui vont contribuer plus).
    Ce montant est de toute manière un point de départ d’une histoire encore à écrire !