Le revenu de base revient de nouveau à la Une de l’actualité avec sa plus que probable mise en application en Espagne. Si l’idée générale est simple, son application donne lieu à de nombreux modèles. Et s’il est bien un élément sur lequel chacun semble se mettre d’accord à son propos, c’est que le sujet divise…

Aujourd’hui, nous vous proposons quelques explications et vous offrons la possibilité de commenter cet article pour y apporter votre point de vue ainsi que des références qui pourront permettre à chacun de se faire sa propre idée sur le sujet.

Le principe d’assurer un revenu à chacun, du jour de sa naissance jusqu’à celui de son décès, qu’il soit riche ou pauvre, n’est pas neuf : c’est l’idée du revenu de base. Pour l’anecdote, il est déjà évoqué en 1516 par Thomas More, qui imaginait une île où chacun serait assuré des moyens de sa subsistance sans avoir à dépendre de son travail ! Mais si le sujet ne date pas d’hier, il rebondit aujourd’hui avec une réelle intensité. En Belgique, les écologistes lui ont récemment consacré un Ecolab qui a réuni des chercheurs et des acteurs de terrain, mais également des représentants d’autres partis défendant des modèles plus ou moins éloignés de celui développé par l’économiste Philippe Defeyt.

Le revenu de base comme bras armé du capitalisme ?

Quand en 1962, l’économiste ultralibéral Milton Friedman esquisse l’idée d’un revenu de base sous forme d’un impôt négatif – une sorte de chèque distribué par l’État au-dessous d’un certain seuil de revenus –, il le conditionne à la disparition de toutes les autres prestations sociales. Dans la conception de l’économiste, le montant de l’impôt négatif doit être modeste, au risque d’inciter les gens à l’oisiveté. Pour la droite libérale, le revenu de base doit permettre sinon de démanteler, au minimum de circonscrire largement, l’État social.

Jouant un rôle de « cheval de Troie du libéralisme », le revenu de base a alors pour vocation de maintenir une cohésion minimale au sein de la société et, ce faisant, de permettre au capitalisme de prospérer à sa guise. Réduction des coûts sociaux et des cotisations, flexibilisation des conditions de travail, le revenu de base à la sauce libérale conduit une partie de la gauche à le redouter comme la peste.

Le plein emploi comme horizon ?

Certains parmi ceux-ci répondront donc qu’il est préférable de continuer à viser le plein emploi et un partage plus équitable des richesses et du travail. Dès le moment où le travail n’est plus la source de revenu unique, la crainte est forte de voir le rapport de force entre employeurs et employés diminuer en défaveur des ces derniers.

Tel un chat échaudé craignant l’eau froide, le spectacle du démantèlement, pierre après pierre, de l’édifice des solidarités mis en place dans l’après guerre pousse d’aucuns à prôner le statu quo face au rouleau-compresseur ultralibéral. La perspective d’une mesure qui a également ses adeptes dans le camp de la droite fait peur.

Ce point de vue est clairement exprimé par Sacha Dierckx, Docteur en sciences politiques à l’Université de Gand : « Un changement en politique exige en premier lieu un changement dans les rapports de force. Cela signifie renforcer les syndicats, les mouvements sociaux et les partis de gauche, l’action collective, la lutte sociale et la mobilisation ainsi que la politisation de problèmes dans les oppositions gauche-droite. Si ces rapports de force ne changent pas, le revenu de base risque d’être utilisé et exploité comme partie d’un projet de droite ».

Et pourtant, au-delà des craintes, légitimes, y a-t-il incompatibilité entre d’une part des objectifs maximalistes pour la protection sociale et la création d’emplois de qualité et d’autre part l’avènement d’un revenu de base ? Pour certains penseurs, c’est plutôt le contraire.

Le revenu de base comme outil d’émancipation

Notre modèle actuel de protection sociale a besoin d’une croissance économique forte pour se déployer totalement. Or, un haut niveau de croissance n’est plus une perspective économique crédible et pose par ailleurs de graves problèmes écologiques. Cette dépendance contemporaine de nos dispositifs économiques et sociaux au modèle du tout-à-la-croissance produit de fortes tensions qui ne se résorberont pas d’elles-mêmes avec un peu plus de compétitivité ou de production. En ce sens, pour les penseurs du post-productivisme (ou de la prospérité sans croissance), le revenu de base, assorti d’un partage du temps de travail, constitue une réponse pertinente au train fou de la croissance lancé dans le brouillard démocratique.

Un monde post-croissance ne signifie pourtant pas un monde sans initiative, comme le déclarait il y a peu Patrick Dupriez, ancien co-président d’Écolo : « Les personnes qui vont le plus bénéficier de ce revenu universel, ce sont aussi les entrepreneurs et les indépendants qui veulent se lancer mais qui doivent aujourd’hui travailler sans filet. On va libérer les initiatives et les énergies. Il faut bouger, oser le changement ».

Créer de la richesse tout en s’émancipant de la croissance et en luttant contre la pauvreté : le revenu de base pourrait être une solution à 360 degrés, « s’il s’articule avec le maintien des droits et une régulation forte du marché du travail », martèle Patrick (aujourd’hui président d’Etopia (le centre d’études du parti Écolo). Mais ne risque-t-il pas de déforcer les travailleurs au profit des employeurs ? Patrick Dupriez entend l’objection mais la réfute : « Au contraire, le revenu de base peut rendre du pouvoir de négociation aux individus, puisqu’une part de leur revenu primaire ne dépendrait alors plus de la décision de l’employeur ou des aléas du marché du travail ».

Force est de constater que, depuis maintenant 40 ans, nos gouvernements ont constamment promis le retour au plein-emploi, sans jamais y parvenir. En découplant l’emploi rémunéré de l’activité, le revenu de base pourrait nous permettre de sortir de la logique productiviste et faciliter la transition écologique.

Un revenu de base émancipateur

L’économiste et ancien Président du CPAS de Namur, Philippe Defeyt, a pensé un système complet de revenu de base. Chiffres à l’appui, il démontre que le revenu universel est finançable, socialement plus juste et qu’il libère l’initiative. Quelle est sa proposition ?

L’économiste suggère un revenu de 600 €/mois pour tout adulte, tout au long de sa vie, et de 300 €/mois pour chaque jeune de moins de 18 ans. Ce revenu de base est exonéré d’impôt et il est accordé de manière inconditionnelle : il constitue un droit personnel inaliénable, quels que soient les choix de vie privé et les autres revenus (ceux-ci n’induisent donc aucune perte du revenu de base). Ce revenu de base est systématiquement complété, soit par un revenu professionnel, soit par des allocations provenant de la Sécurité sociale quand un travailleur perd son emploi, tombe malade ou arrive à l’âge de la retraite. Pour assurer qu’un ménage dispose d’un revenu supérieur au seuil de pauvreté, le dispositif est éventuellement complété par une allocation d’insertion et, quand c’est nécessaire, par une allocation loyer. Ce qui revient à étendre à un plus grand nombre de personnes le bénéfice du logement social. Pour Philippe Defeyt, il s’agit, avec le revenu de base, de créer une sixième branche de la Sécurité sociale.

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Article adapté de https://ecolo.be/le-revenu-de-base-est-il-de-droite-de-gauche-ou/ (15 mais 2018)